Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mélane en Inde, et ailleurs dans le monde...
18 janvier 2010

Cours de sociologie dans un musée

Cinq heures par jour assise sur une chaise. Principale mission : no flash & don't touch. Unique occupation : observer, analyser, imaginer. Rien à faire. Compte à rebours. Encore 3h22, 2h57, 1h18, bientôt la fin. Ne pas penser au taux horaire. Plutôt au volume d'heures. La dernière ligne de la fiche de paye : seul objectif.

Prendre une feuille de papier et noter. Décrire la scène en évitant les regards curieux. Un jeune couple arrive, s'arrête en haut des marches. Le ton monte. Le garçon parle avec ses mains, la fille s'énerve, elle descend. Sans lui. Il la rejoint, feint de ne pas la voir, feint de s'intéresser aux oeuvres qu'il parcourt le regard ailleurs. Ils se croisent, elle tente une approche. Il recommence son argumentation. Il part. Monte les escaliers à la hâte. Elle reste en bas. Elle le rejoint. Je les regarde. Je les observe. A présent accoudés à la balustrade au-dessus de ma chaise. Noire. Sans accoudoirs. Elle le prend dans ses bras. Il la sert sans grande conviction. Réconciliation trop brusque, la discussion repart. Elle fait sa fille, elle pleure. En plein milieu du hall du musée. Il essuie ses larmes naissantes, sans grande conviction toujours. Il a l'air sur les nerfs. Elle a dû faire sa fille : le provoquer un peu avec des grandes phrases. Il a dû faire son mec : aller trop loin. Finir par la blesser pour lui prouver qu'elle a tort. Pour lui montrer qui tient les rennes. Je les remercie : ils m'ont distraite pendant vingt bonnes minutes. Comme toujours, la discussion s'achève avec sourires et baisers dans le cou. Tout ça pour ça.

Des Italiens débarquent. Beaucoup d'Italiens dans ce musée. D'habitude, ils me font rire. Depuis que je suis ici un peu moins. Je ne savais pas qu'il y avait autant d'analphabètes dans notre pays. Plutôt que de faire un débat sur l'identité nationale, organisons des cours de lecture. "Ne pas toucher - Don't touch" signifie ne pas mettre ses mains sales sur une oeuvre d'art. Ne pas s'asseoir sur un prototype qui risque de s'écrouler. C'est peut-être un peu trop implicite.

Un black d'une quarante d'années arrive. Son petit garçon de 3, 4 ans se met à pleurer. Ca a tout l'air d'un bon caprice. Sauf qu'à 4 ans devant des oeuvres d'art, je peux comprendre qu'il préférerait être à Euro Disney. Son père se donne en spectacle. Il se met à hurler plus fort que le petit. "Regarde ces belles choses plutôt que d'hurler. Tu vois toutes ces oeuvres, des gens intelligents ont réfléchi longtemps pour les créer. Et toi, tu pleures ! Je te préviens, tu ne finiras pas comme toutes ces racailles qui ne font qu'écouter du rap toute la journée". Beau discours. Peut-être juste un peu jeune pour comprendre. Tolérance. Indulgence.

Les étudiants en archi, je les reconnais de loin maintenant. Toujours ce look bobo, cet air faussement négligé. Cette grande pochette verte et noir sous le bras. Ils restent là assis par terre pendant des heures. A dessiner, à griffonner. A imaginer le jour où ils seront exposés. Toujours recopier le travail des maîtres avant de se lancer. Parvenir à décrypter pour être enfin capable de créer. 

Discussion avec l'agent de sécurité pour combler le vide. Souvent des Camerounais qui me parlent avec amour et fierté de leur pays. Les yeux pétillants, le sourire franc. Etudiants à Dauphine, courtier en assurance... loin du cliché de l'agent de sécurité, comme j'aimerais être loin du cliché de l'hôtesse d'accueil. Pot de fleurs. "Les toilettes, s'il vous plaît ?". Jamais une question sur l'expo. Sauf une fois. Un monsieur d'un certain âge qui me prend un peu pour une blonde écervelée que je représente certainement. Avec gentillesse et amour de son métier, il m'explique pourquoi cette table en bois, qui me semble, à moi, si anodine, attire autant le regard des initiés. Une folle aussi qui me demande en quelle année Philippe Starck a dessiné cette table exposée là-bas, au fond. Je n'en sais rien, lis le descriptif. Non mais parce qu'apparemment, Starck l'aurait copiée. Bien sûr, elle avait imaginé cette table bien avant lui. Evidemment...

Cinq heures par jour assise sur une chaise. Noire. Sans accoudoirs. Rien à faire. Réfléchir, tout remettre à plat. Compter les heures, puis les minutes. Merci Steve Jobs pour sa miraculeuse invention. Partie de Sudoku, séances facebook à répétition, checker mes mails toutes les dix minutes, lever les yeux, capter un sourire, rendre un bonjour. C'est bon, la relève arrive. Ma journée est terminée.

Publicité
Publicité
Commentaires
C
héhé je viendrais te tenir compagnie cette semaine...
Mélane en Inde, et ailleurs dans le monde...
  • Qu'est-ce qu'un voyage ? Ce n'est pas un départ, ce n'est pas une destination. C'est un parcours, une découverte. Voyage-t-on pour découvrir le monde ou pour se redécouvrir ? Est-ce les hommes qui font les voyages ou les voyages qui font les hommes ?
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Mélane en Inde, et ailleurs dans le monde...
Publicité