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Mélane en Inde, et ailleurs dans le monde...
30 novembre 2010

Une journée ordinaire

7h30  . Arrivée à Charles Helou. Comme d'habitude, les chauffeurs de cette gare routière sordide se jettent sur moi comme des vautours. Désolée, je ne satisferai personne aujourd'hui. Je viens prendre le bus. Direction Tripoli pour RDV à 10h. 8h.  Le bus n'est toujours pas là. L'odeur de pisse et d'égouts qui rôde par ici commence à me donner la nausée. 8h15.      Les gens autour de moi se lèvent. L'attente a l'air de les exaspérer, malgré la notion si particulière du temps qu'ils ont su développer dans cette région du monde. 8h22  . Le bus arrive enfin. Je viens d'allumer une dernière cigarette avant la route qui m'attend. Le conducteur, après cinq bonnes minutes de fourire avec le guichetier, a maintenant l'air pressé. Il me jette un regard impatient. Ok, je la jette. Le bus est presque vide. Je m'installe tranquillement, toujours à ma place favorite, à côté de la fenêtre. Au bord du gouffre. La climatisation est d'une fraîcheur frissonnante mais le soleil déjà bien levé me réchauffe les joues à travers la vitre. Je ne me lasse pas de cet autostrade chaotique qui longe la côte jusqu'au nord du pays. Ces femmes en 4 par 3 aux postures aguicheuses, ces innombrables boutiques où personne ne semble jamais oser s'aventurer, ces successions de super night clubs énigmatiques, et toujours, cette mer bleue marine à perte d'horizon. Après les encombrements traditionnels de Jounieh, banlieue nord de Beyrouth devenue le foyer d'expatriation de nombreux chrétiens de la capitale, le trafic se fluidifie enfin. Après Jbeil, à partir de Batroun, les collines se désurbanisent, la nature reprend ses droits. Dans le lit des rivières asséchées, de charmants petits villages se sont néanmoins implantés. Parfois, sans trop savoir pourquoi, une montagne colonisée par la verdure fait face à un roc désertique aux reflets dorés. Le Liban a dû être un beau pays dans son passé. Plus loin, l'autoroute se décroche de la mer, avant de rejoindre la triste baie de Tripoli, fief inconditionnel du clan Hariri. Les collines s'affaissent et laissent place à d'immenses champs d'oliviers. Je ne sais pas pourquoi je n'aime pas cette ville. Peut-être parce que je ne la cerne pas. Peut-être parce que j'y sens une islamisation  plus radicale qui me met un peu mal à l'aise. 9h50.      Le bus nous dépose sur le rond point central, où nous sommes accueillis par une immense sculpture en l'honneur d'Allah. J'ai rendez-vous avec le responsable de l'Office des Eaux du nord, sans trop savoir bien évidemment où se situent ses bureaux. Loin du multilinguisme beyrouthin, je peine à me faire comprendre par les quelques passants que mon regard égaré interpelle. "City Hall" (à partir de la Mairie, je devrais m'en sortir). "You look for city mall ?" Non, pas vraiment. Pas le temps de faire du shopping malheureusement. Merci, je vais me débrouiller. Je me retrouve enfin devant la Mairie de Tripoli, gardée par une armada de soldats armés. Je crois que le Liban est le seul pays où les militaires ne me rassurent pas. Me voyant approcher, l'un d'entre eux m'adresse un clin d'oeil suggestif. Je commence à comprendre pourquoi Gros Nounours réussit à rassembler. Lui seul peut prétendre défendre sérieusement ce pays contre l'ennemi. Certainement pas ces jeunes frustrés qui passent leurs journées à mater le moindre vagin sur pattes qui pourrait les divertir (Excusez-moi pour cette vulgaire expression, mais c'est souvent l'impression que la gent féminine peut ressentir en se promenant ici...!). Bref, là aussi, la communication est chaotique. "I am looking for the water office of Tripoli". Et le voilà qui me tend gentiment sa bouteille d'eau. Non merci, j'en ai une dans mon sac ! (Croyait-il vraiment que je pouvais lui demander de boire dans sa bouteille ??!!). Tout ça pour finalement trouver toute seule ce fameux bureau où un homme d'une amabilité massacrante m'attend. Il m'invite à m'asseoir, ce que je fais gentiment. Il n'a pas l'air d'un rigolo. Me demande ce que je veux. Texto. Après avoir été interrompu par des coups de téléphone incessants, ce cher fonctionnaire me dit qu'il ne peut pas répondre à mes questions, sans l'accord du Ministère. Pour ma défense, je le harcèle depuis la fin du mois d'août pour qu'il l'obtienne. Je me lève et part pas très gentiment, sans au revoir ni merci. Plus que sur les nerfs. Coca light, clope en terrasse, et cette mouche qui me tourne autour. Dans ces moments, un simple insecte peut tout faire basculer. Les nerfs finissent par lâcher. 

 

C'est reparti pour le bus, cette fois-ci au complet. Ce couple qui s'installe, cette  femme voilée de la tête aux pieds, gantée et chaussetée de noir intégral. Il ne vaut mieux pas qu'elle vienne en France en ce moment celle-là. Le choc thermique risquerait de l'achever. Je me retourne quelques fois pour les observer. Je prierais ce cher monsieur d'arrêter de lui caresser le bras en douce. Cela m'indispose. Qu'il assume au moins ce qu'il lui inflige. Cette jeune étudiante qui s'assied à côté de moi, un dictionnaire de français posé bien en évidence sur les genoux. La mixité dans les bus, ce n'est pas très bien vu. Je ne suis pas d'une humeur très bavarde. Elle aurait pu devenir une amie, au moins une connaissance, mais tant pis. Ma playlist estivale du Skybar résonne à fond dans mes oreilles. Je fais tout pour que mon énervement s'évapore dans ces rythmes aliénants. Et j'observe, et je refais ce monde dans ma tête. Cette urbanisation anarchique, cette guerre qui a tout bousillé. Ce culte de la personne, et ce manque de respect et d'intérêt pour l'autre. Ces files d'attente où l'on vous passe devant, sans une once de gêne. Ce couple de vieux dans ce gros 4X4 flambant neuf, avec cet homme plutôt chic, pull en cachemire beige, chemise à l'italienne, qui n'a pourtant pas échappé à la règle de la blondasse refaite et décolorée. Ces checks points de pacotille qui ne servent à rien, à part rajouter des bouchons aux kilomètres que l'on va déjà se coltiner plus bas. Comme si Gros Nounours ou le chef du Mossad pouvaient un jour avoir la bonne idée de passer par ici incognito. On veut prouver qu'on gère. Toujours ce culte de l'apparence. Derrière le rideau, derrière le voile, le néant. Cette publicité que je croise souvent où une jeune femme pose allongée, un solitaire dans le décolleté avec un slogan désarmant de simplicité : "Mon bijou, mon droit". J'aurais peut-être dû penser au mariage avec mon petit chirurgien. Je serais certainement devenue un peu plus stupide, mais mon placard se serait subitement rempli de sacs Vuitton (Jérôme Dreyfuss de préférence mais ici, on aime quand ça claque), de solitaires indécents et d'escarpins Louboutin. Il faut faire des choix dans la vie, n'est-ce pas ?! Cette voiture défoncée et rafistolée avec des morceaux de carton et du gros scotch marron. Ces vieilles Mercedes à l'allure incroyable qui ont au moins le mérite de colorer le décor.

 Ce vieil homme  assis au bord de la route qui sirote son Coca entre deux taffes de cigarette. Le regard éteint, face à son Liban qu’il ne doit plus reconnaître. Face à ces clichés tellement évidents qu’ils n’en deviennent plus crédibles. Cette société factice où tout brille toujours trop pour être bien réelle. Cette façade toujours lisse et clinquante qui cache pourtant tant d’histoires, tant de déchirures. Cette fuite en avant qui ôte aux choses toute leur beauté et leur sensibilité originelle. Avec toujours cette question éternelle qui demeure. Liban, qui es-tu vraiment ? 

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Mélane en Inde, et ailleurs dans le monde...
  • Qu'est-ce qu'un voyage ? Ce n'est pas un départ, ce n'est pas une destination. C'est un parcours, une découverte. Voyage-t-on pour découvrir le monde ou pour se redécouvrir ? Est-ce les hommes qui font les voyages ou les voyages qui font les hommes ?
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